« La Méditerranée court ainsi du premier olivier atteint quand on vient du nord aux premières palmeraies compactes qui surgissent avec le désert », elle est « Mille choses à la fois. Non pas un paysage, mais d’innombrables paysages. Non pas une mer, mais une succession de mers. Non pas une civilisation, mais des civilisations entassées les unes sur les autres… Dans son paysage physique comme dans son paysage humain, la Méditerranée est un carrefour …. un système où tout se mélange et se recompose en une unité originale ».
J’ai beaucoup réfléchi sur la véracité des propos de Fernand Braudel : je sais que résidant dans la région nous sommes nés dans un même berceau, mais qu’il nous est difficile de vivre harmonieusement en famille.
Le grand Déluge fut un avertissement.
La colombe et l’olivier ont été choisis pour voir s’il était possible de remettre pied à terre. L’olivier vit longtemps. La colombe détient un secret qui lui est propre: elle peut, d’où qu’elle se trouve, rentrer au foyer. Tous deux ont témoigné quele Déluge avait cessé.
La France, qui est imprégnée du patrimoine spirituel de la Méditerranée, l’en a parfumé de mille ans de francité.
Monsieur le Président de la République, votre initiative de l’Union pour la Méditerranée aura de profonds échos dans la région et pourra aider l’Arche close à s’échapper d’un déluge de larmes.
Monsieur le Président – votre audace, votre énergie et votre imagination insuffleront un nouvel élan à la Méditerranée, sur sa côte Nord, européenne, sur son flanc Sud, maghrébin, et au milieu, à un Moyen-Orient faisant face au danger d’un Iran qui tente d’en prendre le contrôle à coups d’uranium enrichi et d’attentats terroristes.
Votre condamnation du terrorisme et votre vision de l’avenir sont claires et limpides. C’est pourquoi, pour marquer notre soutien à votre action , nous avons planté une oliveraie de près de six mille arbres, qui portera votre nom, sur les terres de ‘Mikvé Israël’, la première école agricole d’Israël.
C’est pour moi l’occasion, en tant que Président de l’État d’Israël, de remercier la Grande Nation française qui depuis la création de notre État et même avant celle-ci a toujours été à l’écoute des souffrances du peuple juif et de l’État juif.
C’est l’histoire du soutien offert par une Grande Nation à un peuple dont le territoire est minuscule, à un peuple dont l’histoire est millénaire et qui vécut longtemps dans la solitude et l’isolement.
Les débuts de nos relations se situent sur le plan culturel : Rachi, grand exégète de la Bible, qui écrivait le français en utilisant l’alphabet hébraïque, et qui sauva de l’oubli l’origine de centaines de mots de vieux français.
Lorsque les Juifs furent chassés d’Espagne et du Portugal, la France ouvrit grand ses portes à un grand nombre d’entre eux. Parmi les réfugiés elle accueillit la famille d’Antoinette de Louppes, mère du grand philosophe Montaigne, et la famille Mendès-France dont un descendant devint Premier Ministre de la France.
Napoléon, dans sa Déclaration de Jaffa du 20 avril 1799, dit au Peuple juif :
« Le moment est venu d’exiger que soient rétablis vos droits civils et que vous consolidiez votre place parmi les nations du monde. Vous méritez d’exister en tant que nation comme toutes les autres nations du monde ».
Et Chateaubriand écrivit :
«Les Perses, les Grecs, les Romains ont disparu de la terre ; et ce petit peuple existe encore sans mélange dans les décombres de sa patrie. Si quelque chose parmi les nations porte le caractère du miracle, nous pensons que ce miracle est ici».
Lors de l’Affaire Dreyfus, la France des valeurs prouva qu’elle pouvait faire échec à la laideur antisémite.
Vingt plus tard, en juin 1917, le Quai d’Orsay déclarait «la sympathie du gouvernement français pour la renaissance de la nationalité juive sur cette terre d’où le peuple d’Israël a été chassé il y a tant de siècles ».
Léon Blum était fier de son sionisme. À la Knesset, à Jérusalem, François Mitterrand a déclaré que «le peuple français, d’un seul coeur, a vibré lors de la création de l’État d’Israël ». Jacques Chirac a reconnu la responsabilité de la France envers ses citoyens juifs du fait des persécutions de Vichy.
Des Justes Parmi les Nations français ont, sauvé de nombreux Juifs en France sous l’Occupation, dont celle de mon gendre, le Professeur Rafi Valdan ; son épouse et lui, parlent le français avec fierté et sont reconnaissants envers la France.
Comme fils du Peuple juif et comme président de l’Etat d’Israël, je tiens Monsieur le Président de la République, à vous remercier avec émotion, ainsi que la Grande nation française. Même si tout n’a pas toujours été simple, ce qui a été grandiose et profond entre nous, l’a été sincèrement et notre reconnaissance pour cela est aussi très sincère.
Cette longue et belle histoire a débuté lors de la création de l’Etat d’Israël. C’est le récit d’un cadeau historique offert par la France dans son essence à la nation juive en renaissance.
J’ai eu la chance de vivre au coeur même de ce chapitre historique.
J’étais alors membre d’un kibboutz en Galilée et la France était pour moi une légende.
Un an avant la Guerre d’Indépendance, mon mentor David Ben-Gourion m’engagea à l’état-major de la Hagana. Il me montra la liste des armes dont Israël disposait ; selon lui, nous serions attaqués par les pays arabes immédiatement après la création de notre État. Cette liste se distinguait non par des stocks bien remplis mais par une grande pénurie : nous n’avions aucun avion digne de ce nom. Aucun canon capable de tirer. Aucun char à même de se déplacer. Nous n’avions en tout que quelques dizaines de mitrailleuses, quelques milliers de fusils et des munitions qui ne suffiraient que pour cinq jours de combat. « Sans armes pour nous défendre, nous sommes perdus », dit Ben-Gourion. Nous avions tenté d’obtenir des armes par des voies clandestines car un embargo avait été déclaré à notre encontre.
Le 29 novembre 1947 l’ONU décidait du partage du pays en un État arabe et un État juif. La joie en Israël fut délirante. Le peuple chantait et dansait. Un seul homme était triste à Jérusalem : David Ben-Gourion. Je me tenais près de lui lorsqu’il dit : « Aujourd’hui on danse, demain le sang coulera ». En effet, de sanglants combats éclatèrent le lendemain.
Quarante millions d’Arabes dotés de sept armées bien équipées attaquèrent Israël, qui ne comptait pas plus de six cent cinquante mille âmes, n’avait pas encore d’armée et presque pas d’armes.
La guerre dura près d’un an. Nous en sommes sortis en pleurant la mort des meilleurs de nos fils. Nous avions gagné, mais nous savions que ce n’était que la première bataille et que la suite viendrait.
L’Union Soviétique commença alors à fournir des armes aux pays arabes : avions à réaction, chars, missiles sol-air et missiles antitanks.
Nous étions désemparés. Nos appels à l’aide lancés aux États-unis et à la Grande-Bretagne se heurtaient au refus.
J’étais presque le seul à croire que la France, elle , viendrait à notre aide.
Ben-Gourion me chargea de tenter l’option française. Il le fit non pas parce que je parlais français. Je ne le parlais pas. Ni parce que j’étais familier des affaires françaises. Je n’en savais rien. C’est mon enthousiasme plus que mes connaissances qui fit pencher la balance.
J’avais vu le courage des combattants du maquis. J’avais vu la France se relever de l’humiliation de l’occupation nazie. Et j’étais convaincu pouvoir y trouver une oreille attentive.
Je n’oublierai jamais mes premiers pas sur le sol français. J’y fus adopté comme un enfant perdu qui n’en connaissait pas la langue mais qui s’y sentait chez soi.
Je sollicitais le général Koenig, le Ministre de la Défense nationale. Il me convia immédiatement, un dimanche : « Cette affaire ne peut attendre », m’expliqua-t-il.
Je m’adressais aux dirigeants de presque tous les partis politiques. Guy Mollet me dit : « Je sais que vous avez été déçu par le Labour anglais, qui n’a pas tenu ses promesses. Nous, nous promettons et tiendrons nos promesses ».
Je dînais au domicile du général Ely, le chef d’état-major de l’époque. Son épouse me dit : « Vous n’avez pas à m’expliquer. J’ai moi-même été internée dans un camp de concentration ».
Je rencontrais André Malraux, un écrivain que j’admirais. Il récita par coeur un poème de Nathan Alterman, grand poète israélien, et me chuchota à l’oreille : « Si j’avais été plus jeune je me serais engagé dans les rangs de l’armée israélienne ».
De Gaulle me dit : « Je ne croyais pas les Juifs capables d’être des soldats et des agriculteurs si extraordinaires ».
Et cet homme remarquable, Maurice Bourgès-Maunaury, me promit qu’il « préférait une coalition franco-israélienne à toute autre coalition ».
Le Jour de la fête de l’Indépendance d’Israël, Yves Montand chanta nos deux hymnes nationaux à Jérusalem et à Paris. J’en eus les larmes aux yeux.
Il m’est difficile de décrire toute la chaleur, la sympathie et l’appui que j’ai ressentis partout en France : de son peuple comme de ses dirigeants, de ses hommes d’état comme de ses artistes et écrivains, de ses généraux comme de ses journalistes, de ses chefs d’industrie comme de ses ouvriers.
Il n’y a rien de comparable à cette amitié entre nos peuples. La France a donné à Israël plus que n’importe quel pays en ait donné à un autre : ses meilleurs avions ; ses canons qui ne ratent pas leur cible ; et ses missiles qui nous ont sauvé la vie. La France nous a octroyé force et dissuasion , qui, j’en suis sûr, ont raccourci bien des guerres et prévenu bien des attaques.
La France ne nous a jamais donné d’ordres ; et elle n’a rien demandé en échange. Ce fut une formidable déclaration de liberté pour soutenir une liberté nouvelle. Une manifestation de fraternité entre camarades d’armes qui avaient le même espoir de déposer les armes.
Veuillez me pardonner pour l’usage trop fréquent de la première personne. Mais il semble que je sois un des seuls à pouvoir encore raconter cette grande histoire qui n’a pas encore eu droit au récit qu’elle mérite.
Je la raconte en qualité de témoin direct qui a vu la France dans sa Grandeur, sa Générosité, sa Sagesse historique et son Humanisme.
Aujourd’hui, Monsieur le Président, vous oeuvrez personnellement à la renaissance de ces relations si particulières entre nos deux pays. Et je suis ému d’avoir à nouveau la chance d’en être le témoin et le partenaire.
Et maintenant, Monsieur le Président, vous proposez un nouveau chapitre dans l’histoire de notre région et dans les relations entre nos deux pays : construire la paix, pas seulement la négocier, la bâtir sur le modèle européen, par une union économique, qui, en Europe, a permis de mettre un point final à mille ans de luttes acharnées.
Monsieur le Président, je vous ai rencontré pour la première fois il y a quatorze ans. Pour venir vous voir, vous aviez alors mis à ma disposition un bateau pour traverser la Seine. Le navigateur m’avait dit : « Vous voguez dans la bonne direction ». Aujourd’hui comme alors vous proposez au Moyen-Orient une collaboration économique trans-frontalière sans en modifier les frontières.
Au Moyen-Orient, nous avons expérimenté la stratégie militaire et la diplomatie politique, mais nous n’avons jamais vraiment tenté d’exploiter ce nouveau potentiel économique : un monde qui passe de l’agriculture qui marque les frontières à la science qui les dépasse.
Je pense que l’on peut transformer la faille géologique qui sépare Israël de la Jordanie et des Palestiniens en un pont moyen-oriental capable de porter une lourde charge.
Ce projet ne remplacera pas la négociation politique, mais la complètera et l’accélèrera.
L’Europe en général et la France en particulier peuvent être les architectes de cette nouvelle structure.
Une Vallée de Paix plutôt qu’un désert de désolation sur lequel planent les menaces écologiques cela correspond tout à fait à l’esprit de votre projet d’Union pour la Méditerranée.
Une telle Union permettra de mettre en place des infrastructures pour l’eau qui étancheront la soif de trois pays voisins : Israël, la Jordanie et la Palestine ; elles ressusciteront la Mer Morte et ranimeront les rivières et les ruisseaux desséchés, y compris la rivière du Jourdain.
Cette Union permettra aux habitants de la région de vivre du fruit de leur labeur plutôt que de dépendre de dons extérieurs. La création de centaines de milliers de nouveaux emplois est le meilleur don qui soit.
Elle permettra de créer des projets touristiques communs plutôt que le terrorisme. L’énergie solaire compensera les puits de pétrole que nous n’avons pas.
Une communication libre et ouverte s’installera entre les habitants qui se déplaceront dans des véhicules non polluants, un projet entamé en collaboration avec une société française.
Nous connaîtrons alors un Moyen-Orient de mille paysages qui représentera une réalité nouvelle ; et nous prouverons que diversité ne veut pas dire antagonisme.
Monsieur le Président, il semble que l’Histoire frappe de nouveau à nos portes. Elle bout d’impatience et avec raison. Vous détenez une clé importante et je sais que vous préférez ouvrir les portes plutôt que de les verrouiller.
Pour nous, la France est à la fois une amie et un espoir.
Monsieur le Président, vous avez notre estime comme ami fidèle d’Israël, vous qui considérez la renaissance du Peuple juif des cendres de l’extermination et des épreuves de deux mille ans d’exil comme un des événements majeurs du vingtième siècle .
Monsieur le Président, les rennes de votre pays vous ont été confiées à un moment décisif dans l’histoire de la France. Et moi, ami fidèle de la France et de son patrimoine, je suis convaincu que cette France qui se renouvelle a choisi un grand dirigeant qui incarne parfaitement l’héritage sacré des valeurs universelles qui demeurent le principe conducteur du Monde libre.
C’est un honneur de vous avoir comme ami,
Monsieur le Président, le peuple d’Israël est fier de vous compter parmi ses amis fidèles.
Nous vous remercions de tout coeur.
Vive la France.
Vive Israël.
Vive l’amitié entre nos deux pays !
J’ai beaucoup réfléchi sur la véracité des propos de Fernand Braudel : je sais que résidant dans la région nous sommes nés dans un même berceau, mais qu’il nous est difficile de vivre harmonieusement en famille.
Le grand Déluge fut un avertissement.
La colombe et l’olivier ont été choisis pour voir s’il était possible de remettre pied à terre. L’olivier vit longtemps. La colombe détient un secret qui lui est propre: elle peut, d’où qu’elle se trouve, rentrer au foyer. Tous deux ont témoigné quele Déluge avait cessé.
La France, qui est imprégnée du patrimoine spirituel de la Méditerranée, l’en a parfumé de mille ans de francité.
Monsieur le Président de la République, votre initiative de l’Union pour la Méditerranée aura de profonds échos dans la région et pourra aider l’Arche close à s’échapper d’un déluge de larmes.
Monsieur le Président – votre audace, votre énergie et votre imagination insuffleront un nouvel élan à la Méditerranée, sur sa côte Nord, européenne, sur son flanc Sud, maghrébin, et au milieu, à un Moyen-Orient faisant face au danger d’un Iran qui tente d’en prendre le contrôle à coups d’uranium enrichi et d’attentats terroristes.
Votre condamnation du terrorisme et votre vision de l’avenir sont claires et limpides. C’est pourquoi, pour marquer notre soutien à votre action , nous avons planté une oliveraie de près de six mille arbres, qui portera votre nom, sur les terres de ‘Mikvé Israël’, la première école agricole d’Israël.
C’est pour moi l’occasion, en tant que Président de l’État d’Israël, de remercier la Grande Nation française qui depuis la création de notre État et même avant celle-ci a toujours été à l’écoute des souffrances du peuple juif et de l’État juif.
C’est l’histoire du soutien offert par une Grande Nation à un peuple dont le territoire est minuscule, à un peuple dont l’histoire est millénaire et qui vécut longtemps dans la solitude et l’isolement.
Les débuts de nos relations se situent sur le plan culturel : Rachi, grand exégète de la Bible, qui écrivait le français en utilisant l’alphabet hébraïque, et qui sauva de l’oubli l’origine de centaines de mots de vieux français.
Lorsque les Juifs furent chassés d’Espagne et du Portugal, la France ouvrit grand ses portes à un grand nombre d’entre eux. Parmi les réfugiés elle accueillit la famille d’Antoinette de Louppes, mère du grand philosophe Montaigne, et la famille Mendès-France dont un descendant devint Premier Ministre de la France.
Napoléon, dans sa Déclaration de Jaffa du 20 avril 1799, dit au Peuple juif :
« Le moment est venu d’exiger que soient rétablis vos droits civils et que vous consolidiez votre place parmi les nations du monde. Vous méritez d’exister en tant que nation comme toutes les autres nations du monde ».
Et Chateaubriand écrivit :
«Les Perses, les Grecs, les Romains ont disparu de la terre ; et ce petit peuple existe encore sans mélange dans les décombres de sa patrie. Si quelque chose parmi les nations porte le caractère du miracle, nous pensons que ce miracle est ici».
Lors de l’Affaire Dreyfus, la France des valeurs prouva qu’elle pouvait faire échec à la laideur antisémite.
Vingt plus tard, en juin 1917, le Quai d’Orsay déclarait «la sympathie du gouvernement français pour la renaissance de la nationalité juive sur cette terre d’où le peuple d’Israël a été chassé il y a tant de siècles ».
Léon Blum était fier de son sionisme. À la Knesset, à Jérusalem, François Mitterrand a déclaré que «le peuple français, d’un seul coeur, a vibré lors de la création de l’État d’Israël ». Jacques Chirac a reconnu la responsabilité de la France envers ses citoyens juifs du fait des persécutions de Vichy.
Des Justes Parmi les Nations français ont, sauvé de nombreux Juifs en France sous l’Occupation, dont celle de mon gendre, le Professeur Rafi Valdan ; son épouse et lui, parlent le français avec fierté et sont reconnaissants envers la France.
Comme fils du Peuple juif et comme président de l’Etat d’Israël, je tiens Monsieur le Président de la République, à vous remercier avec émotion, ainsi que la Grande nation française. Même si tout n’a pas toujours été simple, ce qui a été grandiose et profond entre nous, l’a été sincèrement et notre reconnaissance pour cela est aussi très sincère.
Cette longue et belle histoire a débuté lors de la création de l’Etat d’Israël. C’est le récit d’un cadeau historique offert par la France dans son essence à la nation juive en renaissance.
J’ai eu la chance de vivre au coeur même de ce chapitre historique.
J’étais alors membre d’un kibboutz en Galilée et la France était pour moi une légende.
Un an avant la Guerre d’Indépendance, mon mentor David Ben-Gourion m’engagea à l’état-major de la Hagana. Il me montra la liste des armes dont Israël disposait ; selon lui, nous serions attaqués par les pays arabes immédiatement après la création de notre État. Cette liste se distinguait non par des stocks bien remplis mais par une grande pénurie : nous n’avions aucun avion digne de ce nom. Aucun canon capable de tirer. Aucun char à même de se déplacer. Nous n’avions en tout que quelques dizaines de mitrailleuses, quelques milliers de fusils et des munitions qui ne suffiraient que pour cinq jours de combat. « Sans armes pour nous défendre, nous sommes perdus », dit Ben-Gourion. Nous avions tenté d’obtenir des armes par des voies clandestines car un embargo avait été déclaré à notre encontre.
Le 29 novembre 1947 l’ONU décidait du partage du pays en un État arabe et un État juif. La joie en Israël fut délirante. Le peuple chantait et dansait. Un seul homme était triste à Jérusalem : David Ben-Gourion. Je me tenais près de lui lorsqu’il dit : « Aujourd’hui on danse, demain le sang coulera ». En effet, de sanglants combats éclatèrent le lendemain.
Quarante millions d’Arabes dotés de sept armées bien équipées attaquèrent Israël, qui ne comptait pas plus de six cent cinquante mille âmes, n’avait pas encore d’armée et presque pas d’armes.
La guerre dura près d’un an. Nous en sommes sortis en pleurant la mort des meilleurs de nos fils. Nous avions gagné, mais nous savions que ce n’était que la première bataille et que la suite viendrait.
L’Union Soviétique commença alors à fournir des armes aux pays arabes : avions à réaction, chars, missiles sol-air et missiles antitanks.
Nous étions désemparés. Nos appels à l’aide lancés aux États-unis et à la Grande-Bretagne se heurtaient au refus.
J’étais presque le seul à croire que la France, elle , viendrait à notre aide.
Ben-Gourion me chargea de tenter l’option française. Il le fit non pas parce que je parlais français. Je ne le parlais pas. Ni parce que j’étais familier des affaires françaises. Je n’en savais rien. C’est mon enthousiasme plus que mes connaissances qui fit pencher la balance.
J’avais vu le courage des combattants du maquis. J’avais vu la France se relever de l’humiliation de l’occupation nazie. Et j’étais convaincu pouvoir y trouver une oreille attentive.
Je n’oublierai jamais mes premiers pas sur le sol français. J’y fus adopté comme un enfant perdu qui n’en connaissait pas la langue mais qui s’y sentait chez soi.
Je sollicitais le général Koenig, le Ministre de la Défense nationale. Il me convia immédiatement, un dimanche : « Cette affaire ne peut attendre », m’expliqua-t-il.
Je m’adressais aux dirigeants de presque tous les partis politiques. Guy Mollet me dit : « Je sais que vous avez été déçu par le Labour anglais, qui n’a pas tenu ses promesses. Nous, nous promettons et tiendrons nos promesses ».
Je dînais au domicile du général Ely, le chef d’état-major de l’époque. Son épouse me dit : « Vous n’avez pas à m’expliquer. J’ai moi-même été internée dans un camp de concentration ».
Je rencontrais André Malraux, un écrivain que j’admirais. Il récita par coeur un poème de Nathan Alterman, grand poète israélien, et me chuchota à l’oreille : « Si j’avais été plus jeune je me serais engagé dans les rangs de l’armée israélienne ».
De Gaulle me dit : « Je ne croyais pas les Juifs capables d’être des soldats et des agriculteurs si extraordinaires ».
Et cet homme remarquable, Maurice Bourgès-Maunaury, me promit qu’il « préférait une coalition franco-israélienne à toute autre coalition ».
Le Jour de la fête de l’Indépendance d’Israël, Yves Montand chanta nos deux hymnes nationaux à Jérusalem et à Paris. J’en eus les larmes aux yeux.
Il m’est difficile de décrire toute la chaleur, la sympathie et l’appui que j’ai ressentis partout en France : de son peuple comme de ses dirigeants, de ses hommes d’état comme de ses artistes et écrivains, de ses généraux comme de ses journalistes, de ses chefs d’industrie comme de ses ouvriers.
Il n’y a rien de comparable à cette amitié entre nos peuples. La France a donné à Israël plus que n’importe quel pays en ait donné à un autre : ses meilleurs avions ; ses canons qui ne ratent pas leur cible ; et ses missiles qui nous ont sauvé la vie. La France nous a octroyé force et dissuasion , qui, j’en suis sûr, ont raccourci bien des guerres et prévenu bien des attaques.
La France ne nous a jamais donné d’ordres ; et elle n’a rien demandé en échange. Ce fut une formidable déclaration de liberté pour soutenir une liberté nouvelle. Une manifestation de fraternité entre camarades d’armes qui avaient le même espoir de déposer les armes.
Veuillez me pardonner pour l’usage trop fréquent de la première personne. Mais il semble que je sois un des seuls à pouvoir encore raconter cette grande histoire qui n’a pas encore eu droit au récit qu’elle mérite.
Je la raconte en qualité de témoin direct qui a vu la France dans sa Grandeur, sa Générosité, sa Sagesse historique et son Humanisme.
Aujourd’hui, Monsieur le Président, vous oeuvrez personnellement à la renaissance de ces relations si particulières entre nos deux pays. Et je suis ému d’avoir à nouveau la chance d’en être le témoin et le partenaire.
Et maintenant, Monsieur le Président, vous proposez un nouveau chapitre dans l’histoire de notre région et dans les relations entre nos deux pays : construire la paix, pas seulement la négocier, la bâtir sur le modèle européen, par une union économique, qui, en Europe, a permis de mettre un point final à mille ans de luttes acharnées.
Monsieur le Président, je vous ai rencontré pour la première fois il y a quatorze ans. Pour venir vous voir, vous aviez alors mis à ma disposition un bateau pour traverser la Seine. Le navigateur m’avait dit : « Vous voguez dans la bonne direction ». Aujourd’hui comme alors vous proposez au Moyen-Orient une collaboration économique trans-frontalière sans en modifier les frontières.
Au Moyen-Orient, nous avons expérimenté la stratégie militaire et la diplomatie politique, mais nous n’avons jamais vraiment tenté d’exploiter ce nouveau potentiel économique : un monde qui passe de l’agriculture qui marque les frontières à la science qui les dépasse.
Je pense que l’on peut transformer la faille géologique qui sépare Israël de la Jordanie et des Palestiniens en un pont moyen-oriental capable de porter une lourde charge.
Ce projet ne remplacera pas la négociation politique, mais la complètera et l’accélèrera.
L’Europe en général et la France en particulier peuvent être les architectes de cette nouvelle structure.
Une Vallée de Paix plutôt qu’un désert de désolation sur lequel planent les menaces écologiques cela correspond tout à fait à l’esprit de votre projet d’Union pour la Méditerranée.
Une telle Union permettra de mettre en place des infrastructures pour l’eau qui étancheront la soif de trois pays voisins : Israël, la Jordanie et la Palestine ; elles ressusciteront la Mer Morte et ranimeront les rivières et les ruisseaux desséchés, y compris la rivière du Jourdain.
Cette Union permettra aux habitants de la région de vivre du fruit de leur labeur plutôt que de dépendre de dons extérieurs. La création de centaines de milliers de nouveaux emplois est le meilleur don qui soit.
Elle permettra de créer des projets touristiques communs plutôt que le terrorisme. L’énergie solaire compensera les puits de pétrole que nous n’avons pas.
Une communication libre et ouverte s’installera entre les habitants qui se déplaceront dans des véhicules non polluants, un projet entamé en collaboration avec une société française.
Nous connaîtrons alors un Moyen-Orient de mille paysages qui représentera une réalité nouvelle ; et nous prouverons que diversité ne veut pas dire antagonisme.
Monsieur le Président, il semble que l’Histoire frappe de nouveau à nos portes. Elle bout d’impatience et avec raison. Vous détenez une clé importante et je sais que vous préférez ouvrir les portes plutôt que de les verrouiller.
Pour nous, la France est à la fois une amie et un espoir.
Monsieur le Président, vous avez notre estime comme ami fidèle d’Israël, vous qui considérez la renaissance du Peuple juif des cendres de l’extermination et des épreuves de deux mille ans d’exil comme un des événements majeurs du vingtième siècle .
Monsieur le Président, les rennes de votre pays vous ont été confiées à un moment décisif dans l’histoire de la France. Et moi, ami fidèle de la France et de son patrimoine, je suis convaincu que cette France qui se renouvelle a choisi un grand dirigeant qui incarne parfaitement l’héritage sacré des valeurs universelles qui demeurent le principe conducteur du Monde libre.
C’est un honneur de vous avoir comme ami,
Monsieur le Président, le peuple d’Israël est fier de vous compter parmi ses amis fidèles.
Nous vous remercions de tout coeur.
Vive la France.
Vive Israël.
Vive l’amitié entre nos deux pays !