Je m’appelle Abdelfattah Abdelkarim Hasan Ibrahim Mohamad Ahmad Mostafa Ibrahim Srour Abusrour. Je suis encore réfugié dans mon propre pays avec deux clés rouillées à la maison.
Cher M. le Président de l’Autorité Palestinienne
Je m’appelle Abdelfattah Abdelkarim Hasan Ibrahim Mohamad Ahmad Mostafa Ibrahim Srour Abusrour. Je suis né au camp de réfugiés d’Aida, sur un terrain loué pour 99 ans par l’UNRWA des propriétaires palestiniens de la ville de Bethléem. Mes deux frères ainés, mon père ainsi que son père et tous ceux qui sont nés avant eux, sont nés dans le village de Beit Nateef, un des villages détruits le 21 Octobre 1948 par les bandits sionistes. Ma mère est née dans le village de Zakareyya, aussi détruit en 1948. Ce sont deux villages parmi les 534 villages détruits par les bandits sionistes.
J’ai grandi dans le camp de réfugié d’Aida. Lorsque j’avais 4 ans, je me souviens que la plupart des habitants de camp se cachaient dans la cave derrière notre maison. Je me souviens des vieux parlant de la guerre. Je me rappelle que le ciel était incrusté d’avions, et que nous, les enfants, nous étions couverts par des couvertures noires, par les soins de nos mères.
Je me souviens du premier couvre-feu après l’occupation israélienne dans le camp Aida en 1968. Je me souviens du premier soldat israélien, qui était un vieux juif irakien d’environ 60 ans, qui était positionné juste devant la porte de notre maison. Je me souviens du jour où mon deuxième frère était invité pour une entrevue à l’administration de l’occupation militaire en 1972. Il n’est jamais revenu à la maison. Je me souviens de son exil après six mois en prison, sans confession et sans jugement.
Je me rappelle les premiers points collectifs de distribution d’eau dans le camp. Il y avait quatre points avec quatre robinets chacun pour toute la population du camp. Je me souviens aussi des premiers WC collectifs. Il y avait aussi quatre points, chaque point est composé d’un WC pour les hommes et un pour les femmes. Je me souviens de terrains autour de camp, où nous avions l’habitude de jouer, de présenter nos petits spectacles de théâtre dans la nature. Je me souviens des grands trous dans la terre ; lorsqu’ils se replissaient d’eau, ils devenaient nos piscines.
Je me souviens de la première colonie israélienne autour du camp, la colonie Gilo… Les grues y travaillent toujours depuis le début des années 70. Je me souviens des religieux juifs venant à la Mosquée de Bilal Ibn Rabah, qui fut transformée en synagogue après l’occupation de 1967, et rebaptisée le Tombeau de Rachel pour faire leurs prières. Nous, nous étions plus autorisés à laver nos morts et faire une dernière prière sur eux avant de les enterrer, dans le cimetière juste à côté.
Je me souviens de premiers points de contrôle militaires israéliens entre Bethléem et Alquds-Jérusalem. Je me souviens des premiers permis exigés par les Israéliens, et toutes les routes alternatives et les chemins pour contourner les points militaires pour ceux qui n’avaient pas de permis.
Je me souviens de l’évolution du mur de séparation, de l’état où il n’était qu’un amas de terre et d’énormes trous dans les routes et les rues, et puis en barbelé, et ensuite en blocks de ciment de 2 mètres, et 4 mètres et 8 à 12 mètres de hauteur. Je me souviens de toutes les fois où j’ai été capturé par les soldats israéliens sur le chemin vers ma famille à Jérusalem- mon épouse est de Jérusalem Est. Je me souviens de 6 ans sans permis où j’ai pris tous les chemins connus ou inconnus de Bethléem à Al Quds, que ce soit par l’Est ou par l’Ouest, par les routes principales, ou par les vallées ou les collines.
Je me souviens de cet espace qui s’est rétréci dans le camp, et de cette population croissante d’environ 5000 habitants originaires de 41 villages détruits par les bandits sionistes, où 66 pour cent ont moins de 18 ans, où la rue est le seul espace de jeu. Des murs ont été construits encerclant le camp à l’Est, au Nord et à l’Ouest.
Je me souviens de cet accord de Jéricho, où le check point à la sortie de Jéricho ne devrait être que symbolique, et où on passe des heures pour sortir de Jéricho parce que c’est la volonté de n’importe quel petit soldat d’une armée d’occupation. Et nous négocions maintenant un passage vers la vieille ville de Jérusalem, sous contrôle de cette même armée d’occupation israélienne.
Je me souviens que nous étions nourris de l’amour de ce pays occupé, parce qu’il est le nôtre. Je me souviens des clés rouillées de nos maisons dans notre village de Beit Nateef, des clés pour des portes qui n’existent plus, des clés qui ont leurs portes dans nos cœurs et dans notre imagination…. Des clés pour des portes qui étaient réelles et qui ont existé, pour des maisons réelles et qui avaient existé, où de vrais personnes ont vécu et ont élevé leurs enfants. Ces clés rouillées sont encore avec moi. Je me souviens que nous étions élevés avec cette croyance éternelle que le droit est le droit, et que rien ne justifie de l’ignorer. Je me souviens que notre droit au retour dans nos maisons et nos villages d’origine est un droit éternel, et rien ne puis le changer, ni ce qu’on appelle « les réalités sur le terrain », ni les accords politiques, parce que ce n’est pas seulement un droit collectif mais un droit individuel…. C’est de mon droit M. le Président, et le droit de mes enfants et mes petits enfants et tous ceux qui suivront peu importe où ils seront nés.
Cher M. le Président
Je me rappelle le décès de ma mère, le 9 Septembre 2003. Elle avait 75 ans. Je me rappelle la mort de mon père le 26 Décembre 2006. Il avait 96 ans. Ma mère et mon père espéraient être enterrés dans leur village de Beit Nateef, là où ils se sont mariés, là où ils ont élevé quelques uns des leurs enfants, là où ils ont irrigué leur terre de sueur, de sang et de larmes, là où ils ont rempli la terre de joie, de bonheur, de rires et de chuchotements.
Mes parents sont enterrés dans le cimetière du camp d’Aida. Le tombeau de ma mère est juste sous la tour de sniper militaire, entourée de barbelés. Le tombeau de ma mère ne m’est pas accessible. Je ne peux même pas lui rendre visite un jour de fête ou un autre jours pour lui réciter une sourate du Coran.
Cher M. le Président
J’ai été rempli d’espoir qu’après 60 ans d’occupation, qu’après 60 ans de résistance armée et non-armée, nous pourrions réaliser quelque chose d’autre que les promesses futiles. J’ai été plein de l’espoir que nous ne rendrons jamais nos droits, que nos droits sont reconnus par le monde entier, même si le monde entier reste complice de l’injustice. J’ai été rempli d’espoir que rien ne justifie que nous renonçions à nos droits, malgré toutes « les réalités sur le terrain » comme ils le disent. Autrement, quel héritage nous laissons à nos enfants et les générations à venir. Faut-il leur dire : Allez et laissez-vous emporter par le vent… Ne résistez jamais à l’oppression, et ne vous levez pas devant l’injustice. L’importance est de rester vivant, même si cette vie n’est qu’une vie d’humiliation et de non reconnaissance d’appartenance à la race humaine.
Où est-ce que vous nous amenez M. le Président ? A quel désert vous nous guidez ? A quelle catastrophe ? Comment osez-vous décider combien de réfugiés peuvent ou ne peuvent pas retourner chez eux ? Qui vous a donné la permission de parler en mon nom, et au nom de mes enfants ? Qui vous a demandé de déclarer les soldes sur nos droits ? Quel est le prix de telles soldes sur les droits de gens et leurs sacrifices pendant 60 ans ?
Là où les résolutions des Nations Unies parlent de DROIT AU RETOUR ET DROIT à la Compensation pour toutes les souffrances dans l’exil et dans les camps de refuge, pour toutes ces exploitations de nos terres et nos propriétés, pour toutes ces années d’humiliation et de torture qui empirent chaque jour, vous osez dire que tout le monde ne veut pas retourner dans leur village d’origine ? Même si c’était le cas, cela ne leur enlève aucunement leurs droits dans leurs maisons et leurs terres d’origine, qu’ils veuillent retourner ou pas. S’ils veulent vendre aux autres, c’est leur choix, mais il n’est aucunement le droit de quiconque d’autre de décider qui veut et qui ne veut pas retourner. Ce n’est pas votre droit, et le droit de quiconque d’autre de dire « ceux qui ne veulent pas retourner, il faudrait les compenser ». Chaque réfugié et fils de réfugiés et petit fils ou fille de réfugié a droit à la compensation pour ces 60 ans de Nakba, ceux qui ont quitté ou qui ont été forcés de quitter… ceux qui étaient propriétaires des terres, qui avaient leur champs d’orangers et des arbres fruitiers. Oui, les oranges de Jaffa existaient avant Israël, et continueront à exister après Israël, si Israël ne finit pas par les détruire aussi comme les oliviers millénaires qu’il a détruits.
Vous n’avez pas été élu, M. le Président, pour renoncer à nos droits … ou pour abandonner nos espoirs et nos rêves et les droits de notre peuple qui est encore dans les camps de refuge, vivant sur des terrains loués, des réfugiés dans notre propre pays ou ailleurs, et qui attendent toujours ce retour dans les maisons d’origine depuis 60 déjà.
Jour après jour, semaine après semaine, mois après mois et année après année nous vivons dans le mensonge, et des promesses brisées d’un changement…. Mais le changement arrive mais pour le pire et non pas pour le mieux. Rien ne s’améliore avec toutes ces négociations, M. le Président ? Faut-il que nous nous déshabillions et montrer notre nudité pour qu’Israël et ses leaders et ses forces d’occupation soient satisfaits que n’avons plus rien à cacher ?
Hier, des Israéliens ont distribué des papiers à Jérusalem Est, utilisant le Coran Sacré et leur Torah, disant qu’ils ne font qu’accomplir la promesse de Dieu pour peupler Israël et chasser tous ceux qui ne sont pas juifs. Et il faudrait que nous comprenions ce qu’ils demandent et les aider, en quittant notre pays parce qu’il y a tellement d’autres pays arabes pour nous accueillir ? Après cela nous pouvons vivre en paix, et nos enfants peuvent être heureux avec leurs enfants, et tout sera merveilleux. Est-ce la prochaine étape, M. le Président ? Est-ce parce que les colonies sur le terrain s’étendent tellement, et que nous ne pouvons pas forcer notre présence en Israël, alors il faut que nous soyons gentils pour que le monde entier nous traite avec sympathie, et faire ce qu’Israël veut que nous fassions ? Et ensuite, nous allons parler des compromis terribles et des solutions difficiles, et donc c’est à nous d’être les plus gentils et offrir le plus de compromis, et pardonner, et oublier, et abandonner nos droits, et quitter le pays ou mourir, et comme cela tout sera résolu ?
M. le Président,
Je ne suis pas prêt pour quitter mon pays. Je ne le quitterai jamais de plein gré, même si c’était le seul moyen pour gagner ma vie. Je ne renoncerai jamais à mon droit de retour dans mon village d’origine, même si j’ai un forteresse au Royaume Uni, et un château en France, et un chalet à la mer rouge, et une propriété aux Bahamas. Mon droit est le mien, et donc ni vous ni aucune autre personne n’a le droit d’effacer mon droit, de l’échanger ou de jouer avec.
Nous avions l’habitude d’entendre parler des lignes rouges qu’aucun négociateur ne franchira. Que reste-t-il de ces lignes rouges, M. le Président ? Nous entendions parler de la ligne verte… qui est devenue la ligne grise du mur de séparation. Les lignes rouges sont devenues des lignes roses et sont tellement diluées dans le blanc qu’elles sont devenues invisibles. Est-ce ce qui nous reste de notre résistance historique, et de tout le sang des martyrs et des années d’emprisonnement ?
J’espère sincèrement que vous quitterez votre tour d’ignorance des besoins de votre peuple et que vous descendrez un peu sur le terrain et regarderez les yeux de ceux qui ont encore la passion pour ce pays malgré ces désastres dans lesquelles nous sommes plongés au milieu de ces négociations futiles et non productives, pendant que le sang palestinien est versé tous les jours par ceux avec qui vous négociez. N’avons-nous plus de honte pour laisser ce cirque continuer ?
J’aurais beaucoup aimé M. le Président qu’une telle énergie pour négocier avec les Israéliens soit investie pour unir les Palestiniens qui sont encore en dispute, et à cause d’un tel entêtement de nos leaders politiques, ce n’est point vous, les leaders, qui souffrez, mais votre peuple. Sommes-nous tellement sans valeur que nous ne méritions point votre temps et votre énergie pour arrêter cette mascarade et unir votre peuple au lieu de chercher toujours ce qui divise ces âmes torturées ? Ne suffit-il pas que nous sommes considérés comme un cas humanitaire tout simplement, qui ne vaut pas plus qu’un sac de farine ou une bouteille d’huile ou un médicament périmé ? Ne suffit-il pas que toute une population soit transformée en mendiants et soit mise dans la pauvreté, dépendant de la charité au lieu de l’aider à produire en gardant sa dignité intacte ? Ne suffit-il pas l’humiliation de l’occupation que nous soyons forcés à subir toutes ces humiliations à venir ?
Je crois entièrement dans la paix et la non-violence. Je suis entièrement croyant dans l’espoir, le droit et la justice. Je suis entièrement croyant dans les valeurs qui font de l’humanité ce qu’elle est. Je n’ai jamais appris à haïr. Je n’ai jamais haï personne. Mes parents étaient une source d’amour et de paix. Ils ne m’ont jamais appris à moi et à mes frères quelque chose d’autre que le respect des autres et un amour infini à donner et à aider les autres. Ils nous ont appris que lorsqu’on pratique la violence, on perd une partie de son humanité. Mais en même temps, ils nous ont appris à défendre le droit et ce qui est juste et de s’élever contre tout ce qui injuste, faux et mal.
Alors M. le Président, j’ose vous dire que vous n’avez aucun droit, même en étant le Président d’une Autorité qui n’a aucune autorité sur quoi que ce soit- à l’exception probablement de nous- mais qui ne peut nous protéger ou même se protéger contre n’importe quel petit soldat ou soldate israélien, pour renoncer à nos droits, les droits de deux tiers de votre peuple pour retourner avec dignité dans leurs villages et terres et propriétés détruits, et qu’ils soient compensés pour toutes leurs souffrances et leur exil, et l’exploitation par les sionistes de leurs champs et terres, et le vol de leurs propriétés et comptes dans les banques anglaises ou autres.
M. le Président
Je ne sais pas si vous allez lire ces mots ou pas. Je ne sais pas si je vais rester en vie lorsque vous les lisez ou pas… Mais en tous les cas, j’espère que ces mots qui viennent de mon cœur vont dans votre cœur, M. le Président, et que vous puissiez trouver l’espoir et la force que notre peuple garde encore en lui. Nous ne renonçons pas à nos droits. La paix peut être construite seulement avec la Justice. La paix réelle peut être bâtie avec une justice réelle…. Toute autre chose n’est qu’une plaisanterie àla face de l’histoire.
Je m’appelle Abdelfattah Abdelkarim Hasan Ibrahim Mohamad Ahmad Mostafa Ibrahim Srour Abusrour. Je suis encore réfugié dans mon propre pays avec deux clés rouillées à la maison.
AbdelFattah Abusrour, PhD Ashoka Fellow Director of Al-Rowwad Cultural and Theatre Training Center.
Source: www.france-palestine.org