Notre conviction, c’est que la bataille pour un nouveau modèle de société a commencé. Elle va marquer, en France, en Europe, dans le monde, la période qui s’ouvre.
Nous sortons, en France, d’une longue paix idéologique. Elle scellait la victoire des valeurs de gauche.
La France a vécu, depuis 1945, sur un compromis « social-démocrate » : un modèle de développement fondé sur l’Etat-providence, caractérisé par un cercle vertueux entre prospérité et justice sociale, croissance et redistribution, marché et Etat. La gauche, avec le gaullisme social, avait promu ce modèle égalitaire après-guerre. La droite avait accepté d’accompagner ces évolutions, moteurs d’une prospérité inédite sous les Trente Glorieuses.
Ce compromis social-démocrate n’était pas une spécificité française : l’économie sociale de marché, le Welfare State, caractérisent le modèle européen d’après-guerre. Le niveau de prélèvements obligatoires, symbole de l’effort redistribution d’un pays, témoigne de cette cohérence du modèle européen : la moyenne européenne des prélèvements obligatoires s’élève à 42% du PIB, contre 28% au Japon, 23% aux Etats-Unis, moins de 20% dans les pays en développement. Il y a certes des différences importantes en Europe mais même les Etats européens les moins redistributeurs (Irlande, Royaume Uni) se situent dix points au-dessus des autres pays occidentaux.
Avec la crise contemporaine de l’Etat-providence, le compromis idéologique social-démocrate a volé en éclats. La crise a une origine simple : les instruments de l’Etat-providence du 20ème siècle s’avèrent inadaptés dans le monde du 21ème ; le cercle vertueux s’est transformé en cercle vicieux – la faiblesse de la croissance asphyxie l’Etat-providence, la redistribution handicape la compétitivité économique et affaiblit la croissance.
Désormais, la droite est à l’offensive. Elle a longtemps hésité. C’est fini. La droite revendique « la réforme », « le changement » : la fin du pacte social historique. Si la France veut retrouver - « libérer » - la croissance, elle doit accepter de réduire son Etat-providence et de limiter la redistribution. La droite propose ainsi une offre politique structurée, autour d’un modèle libéral traditionnel, qu’elle théorise progressivement, au-delà des hésitations doctrinales du sarkozysme.
Face à cette offensive, la gauche n’a pas encore d’offre politique alternative. Elle oscille entre deux écueils.
Le premier est le conservatisme. La gauche peut être tentée par l’immobilisme, la défense du modèle d’hier. Elle a du mal à faire le deuil du modèle historique qu’elle a contribué à créer. Elle risque alors de s’enfermer dans la protestation.
Le second écueil est le renoncement idéologique. Dans l’incapacité de formuler une offre politique alternative, la gauche laisserait filer le curseur idéologique vers la droite. Le nouveau compromis national deviendrait un compromis libéral. La gauche pourrait encore espérer la victoire politique, mais au prix de sa défaite idéologique, cantonnant son action à l’accompagnement social d’un modèle qui n’est plus le sien. Ce renoncement est une tentation dans nombre de partis sociaux-démocrates européens, notamment avec le SPD allemand, et plus encore en Autriche et aux Pays-Bas.
La gauche progressiste doit au contraire chercher la voie de la refondation idéologique, le chemin vers une « seconde fondation sociale-démocrate ».
Elle en a les moyens. Le matériau est là, désormais. Le diagnostic intellectuel s’est enrichi. Les expérimentations européennes se développent, notamment dans les social-démocraties nordiques. Les initiatives locales se multiplient. Le travail qui reste à accomplir est de convertir ce matériau en solutions programmatiques et de penser un projet global.
Elle est attendue. En France comme en Europe, les citoyens continuent de plébisciter les valeurs progressistes – égalité, solidarité, lutte contre les injustices. L’ancrage social-démocrate est toujours là.
Mais la bataille idéologique à venir n’aura pas lieu qu’en Europe. Aux Etats-Unis aussi, il est probable qu’elle s’ouvre. Les Etats-Unis ont également vécu sur un compromis idéologique de long terme, autour du modèle libéral anglo-saxon. La crise financière actuelle en sape brutalement les fondements : nationalisations, régulations, interventionnisme étatique sont à l’ordre du jour. Cette crise remettra-t-elle en cause le compromis libéral américain au profit d’un modèle progressiste ? Peut-il lui aussi se renouveler sur des bases modernisées ? Ce sera sans doute aussi l’enjeu de la période qui s’ouvre.
Les tensions idéologiques devraient également se réveiller dans les pays émergents, singulièrement en Chine. Le modèle de développement de ces pays est fondé sur la compétitivité-prix sur les marchés étrangers. Il repose par construction sur le maintien de bas coûts de production – salaires et charges sociales notamment. Avec la montée en puissance économique, la bataille autour de la répartition de la valeur ajoutée est appelée à s’intensifier. La pression des travailleurs s’accroît rapidement– même si les institutions non-démocratiques de la plupart de ces pays freinent cette évolution. Un autre modèle de développement, plus progressiste, pourrait en résulter.
Europe, Etats-Unis, Chine : partout, le modèle de développement d’hier est remis en cause ou est appelé à l’être. De nouveaux modèles devraient émerger et s’affronter. Et, au-delà des modèles nationaux, il faudra aussi inventer un modèle de gouvernance mondiale. Les enjeux de demain sont avant tout des enjeux globaux : finances, énergie, environnement, eau, migrations, prolifération... Aucune gouvernance capable de faire face à ces défis n’est aujourd’hui en place.
La bataille idéologique va s’ouvrir. Elle va concerner le modèle de développement de nos territoires et l’organisation de la planète. Il est urgent que les progressistes entrent dans l’arène.
Ecrit par Olivier Ferrand, Michel Rocard et Eric Maurin.
Nous sortons, en France, d’une longue paix idéologique. Elle scellait la victoire des valeurs de gauche.
La France a vécu, depuis 1945, sur un compromis « social-démocrate » : un modèle de développement fondé sur l’Etat-providence, caractérisé par un cercle vertueux entre prospérité et justice sociale, croissance et redistribution, marché et Etat. La gauche, avec le gaullisme social, avait promu ce modèle égalitaire après-guerre. La droite avait accepté d’accompagner ces évolutions, moteurs d’une prospérité inédite sous les Trente Glorieuses.
Ce compromis social-démocrate n’était pas une spécificité française : l’économie sociale de marché, le Welfare State, caractérisent le modèle européen d’après-guerre. Le niveau de prélèvements obligatoires, symbole de l’effort redistribution d’un pays, témoigne de cette cohérence du modèle européen : la moyenne européenne des prélèvements obligatoires s’élève à 42% du PIB, contre 28% au Japon, 23% aux Etats-Unis, moins de 20% dans les pays en développement. Il y a certes des différences importantes en Europe mais même les Etats européens les moins redistributeurs (Irlande, Royaume Uni) se situent dix points au-dessus des autres pays occidentaux.
Avec la crise contemporaine de l’Etat-providence, le compromis idéologique social-démocrate a volé en éclats. La crise a une origine simple : les instruments de l’Etat-providence du 20ème siècle s’avèrent inadaptés dans le monde du 21ème ; le cercle vertueux s’est transformé en cercle vicieux – la faiblesse de la croissance asphyxie l’Etat-providence, la redistribution handicape la compétitivité économique et affaiblit la croissance.
Désormais, la droite est à l’offensive. Elle a longtemps hésité. C’est fini. La droite revendique « la réforme », « le changement » : la fin du pacte social historique. Si la France veut retrouver - « libérer » - la croissance, elle doit accepter de réduire son Etat-providence et de limiter la redistribution. La droite propose ainsi une offre politique structurée, autour d’un modèle libéral traditionnel, qu’elle théorise progressivement, au-delà des hésitations doctrinales du sarkozysme.
Face à cette offensive, la gauche n’a pas encore d’offre politique alternative. Elle oscille entre deux écueils.
Le premier est le conservatisme. La gauche peut être tentée par l’immobilisme, la défense du modèle d’hier. Elle a du mal à faire le deuil du modèle historique qu’elle a contribué à créer. Elle risque alors de s’enfermer dans la protestation.
Le second écueil est le renoncement idéologique. Dans l’incapacité de formuler une offre politique alternative, la gauche laisserait filer le curseur idéologique vers la droite. Le nouveau compromis national deviendrait un compromis libéral. La gauche pourrait encore espérer la victoire politique, mais au prix de sa défaite idéologique, cantonnant son action à l’accompagnement social d’un modèle qui n’est plus le sien. Ce renoncement est une tentation dans nombre de partis sociaux-démocrates européens, notamment avec le SPD allemand, et plus encore en Autriche et aux Pays-Bas.
La gauche progressiste doit au contraire chercher la voie de la refondation idéologique, le chemin vers une « seconde fondation sociale-démocrate ».
Elle en a les moyens. Le matériau est là, désormais. Le diagnostic intellectuel s’est enrichi. Les expérimentations européennes se développent, notamment dans les social-démocraties nordiques. Les initiatives locales se multiplient. Le travail qui reste à accomplir est de convertir ce matériau en solutions programmatiques et de penser un projet global.
Elle est attendue. En France comme en Europe, les citoyens continuent de plébisciter les valeurs progressistes – égalité, solidarité, lutte contre les injustices. L’ancrage social-démocrate est toujours là.
Mais la bataille idéologique à venir n’aura pas lieu qu’en Europe. Aux Etats-Unis aussi, il est probable qu’elle s’ouvre. Les Etats-Unis ont également vécu sur un compromis idéologique de long terme, autour du modèle libéral anglo-saxon. La crise financière actuelle en sape brutalement les fondements : nationalisations, régulations, interventionnisme étatique sont à l’ordre du jour. Cette crise remettra-t-elle en cause le compromis libéral américain au profit d’un modèle progressiste ? Peut-il lui aussi se renouveler sur des bases modernisées ? Ce sera sans doute aussi l’enjeu de la période qui s’ouvre.
Les tensions idéologiques devraient également se réveiller dans les pays émergents, singulièrement en Chine. Le modèle de développement de ces pays est fondé sur la compétitivité-prix sur les marchés étrangers. Il repose par construction sur le maintien de bas coûts de production – salaires et charges sociales notamment. Avec la montée en puissance économique, la bataille autour de la répartition de la valeur ajoutée est appelée à s’intensifier. La pression des travailleurs s’accroît rapidement– même si les institutions non-démocratiques de la plupart de ces pays freinent cette évolution. Un autre modèle de développement, plus progressiste, pourrait en résulter.
Europe, Etats-Unis, Chine : partout, le modèle de développement d’hier est remis en cause ou est appelé à l’être. De nouveaux modèles devraient émerger et s’affronter. Et, au-delà des modèles nationaux, il faudra aussi inventer un modèle de gouvernance mondiale. Les enjeux de demain sont avant tout des enjeux globaux : finances, énergie, environnement, eau, migrations, prolifération... Aucune gouvernance capable de faire face à ces défis n’est aujourd’hui en place.
La bataille idéologique va s’ouvrir. Elle va concerner le modèle de développement de nos territoires et l’organisation de la planète. Il est urgent que les progressistes entrent dans l’arène.
Ecrit par Olivier Ferrand, Michel Rocard et Eric Maurin.