Monday, July 14, 2008

Le pari proche-oriental de la France

Nicolas Sarkozy veut promouvoir le rôle de l'Europe au Proche-Orient, à l'occasion de la présidence française de l'Union européenne. Les responsables israéliens l'ont écouté avec sympathie, lors de son voyage à Jérusalem en juin, mais aucun n'a repris cette idée publiquement. La conférence d'Annapolis de novembre 2007 qui a relancé le processus israélo-palestinien n'a assigné aucun rôle à l'Europe. L'Elysée estime néanmoins qu'il y a une carte à jouer dans la région, au moment où les Etats-Unis entrent dans une phase de retrait diplomatique qui pourrait durer jusqu'à la mi-2009, en raison des délais d'installation d'une nouvelle administration à Washington.

Le discours de M. Sarkozy devant la Knesset, le 23 juin, tout comme celui qu'il a prononcé en novembre 2007 devant le Congrès américain, a reflété ses convictions personnelles, une disposition à exalter ces deux pays, Israël et les Etats-Unis, leurs valeurs, leur histoire. Mais il a traduit aussi un calcul : l'idée qu'une fois la confiance restaurée, la voix de la France serait plus entendue. Sur le fond, les propos de M. Sarkozy en Israël s'inscrivent dans la continuité de la position française sur le dossier du Proche-Orient, telle qu'elle s'articulait du temps de Jacques Chirac. Le président n'est pas allé jusqu'à parler, devant les députés israéliens, d'un gel "total et immédiat" de la colonisation (alors que cela figurait dans la version initiale de son discours). Il a parlé de "Jérusalem capitale de deux Etats", mais il a omis que l'Etat palestinien devait être délimité "sur la base de la ligne de 1967".

Par une coïncidence de dates que ne pouvait prévoir M. Sarkozy lorsqu'il a lancé en 2007 son idée d'Union pour la Méditerranée, le sommet prévu le 13 juillet à Paris pour créer cette nouvelle entité se profile à un moment théoriquement propice : discussions entre Israéliens et Syriens par l'entremise de la Turquie, accord de Doha conclu entre les forces politiques libanaises grâce à une médiation du Qatar, et négociations entre Israéliens et Palestiniens depuis Annapolis. En filigrane se dessine un enjeu stratégique, un objectif poursuivi par les Israéliens, et auquel M. Sarkozy semble vouloir prêter main forte : il s'agit d'inciter la Syrie du président Bachar Al-Assad à s'écarter de son alliance avec l'Iran, puissance montante, perçue comme menaçante dans la région.

M. Sarkozy use de deux cartes : celle du dialogue qu'il a renoué avec la Syrie à propos du Liban, et celle de sa fermeté absolue sur le dossier nucléaire iranien, un gage pour Israël. Le 13 juillet, à Paris, au Grand Palais, Bachar Al-Assad et le premier ministre Ehoud Olmert devraient être assis, avec une quarantaine d'autres dignitaires, à la même table. Ils ne seront pas côte à côte, mais l'Elysée peut d'ores et déjà se targuer d'un succès annoncé. Si tout se passe bien, dit-on dans l'entourage de M. Sarkozy, il y aura à la clef, dans le courant de l'été peut-être, un voyage du chef de l'Etat à Damas. Ce serait une première depuis 2000.

Le président français semble prêt à accorder des honneurs importants au jeune dirigeant syrien lorsqu'il viendra à Paris - il sera reçu en tête à tête avant le sommet. Avec Bachar Al-Assad, M. Sarkozy s'est lancé dans une stratégie comparable à celle qu'avait déployée Jacques Chirac au début des années 2000, avant d'en constater l'échec et de rompre tout contact : miser sur l'émancipation du jeune dirigeant syrien vis-à-vis des "durs" de son clan, le pousser vers des réformes et vers l'ouverture à l'Occident par une sorte de pédagogie incitative.

Cette approche suscite des critiques. Elle a valu à M. Sarkozy une phase de tensions avec l'Arabie saoudite et l'Egypte. Lors d'une rencontre à Rome en marge du sommet de la FAO, le président égyptien, Hosni Moubarak, a mis en garde son homologue français contre toute précipitation envers un responsable auquel il n'accorde aucune confiance. Le souverain saoudien a été furieux des avances françaises faites au dirigeant syrien, y voyant le signe d'un effritement du soutien occidental au camp sunnite au Liban.

LA SYRIE SORT DE SON OSTRACISME

La question d'un retour de l'influence syrienne au Liban semble posée. Israël, pour sa part, ne verrait pas d'un mauvais oeil une Syrie "amendée" regagner du poids au Liban, à la condition que cela s'accompagne d'une neutralisation de la menace que représente pour sa sécurité nationale le Hezbollah, deux ans après la "guerre des trente-trois jours". Les gestes réels obtenus à ce jour de la Syrie n'apparaissent pas clairement. Au Liban, en dépit de l'élection d'un président le 27 mai, le blocage politique n'a fait que se déplacer vers la question de la formation d'un gouvernement d'unité nationale. La persistance de cette impasse fait dire à certains que M. Sarkozy serait allé trop vite en besogne en rouvrant les vannes du dialogue avec Damas : la Syrie sort de son ostracisme sans avoir eu à produire de contrepartie, si on lit les nombreux entretiens accordés par Bachar Al-Assad à la veille de sa venue en France.

Des diplomates observent qu'au Proche-Orient les protagonistes jouent la montre jusqu'à la prochaine administration américaine. Bachar Al-Assad aurait fait passer le message qu'il n'acceptera aucune négociation directe avec Israël avant qu'un nouveau président américain soit élu. L'Iran aussi aurait conclu qu'il n'a aucun intérêt à sceller une solution négociée sur ses activités nucléaires tant que l'administration Bush sera encore en place, et ses récentes ouvertures ne viseraient qu'à gagner du temps. Ces manoeuvres dilatoires rejettent le rôle de l'Europe à la marge.

Les sceptiques soulignent en outre que si les dirigeants israéliens ont aussi bien accueilli Nicolas Sarkozy, c'était avant tout parce qu'il fournissait deux assurances : la solidarité de la France face au danger iranien et la garantie que Paris oeuvrerait pour la conclusion d'un accord de partenariat renforcé entre l'Union européenne et l'Etat juif. Cet accord avait été par le passé freiné par Jacques Chirac. Israël engrangerait ainsi une avancée, sans pour autant faire de geste particulier dans le cadre du processus de paix, qui est mal en point, handicapé notamment par la poursuite de la colonisation.

M. Sarkozy a rehaussé la visibilité de la France au Proche-Orient. Il entend engranger un succès médiatique le 13 juillet. Mais les calculs des uns et des autres, dans ces crises régionales entremêlées, font que l'affichage français, aussi actif soit-il, risque d'avoir peu de prises sur les dures réalités du terrain. Le président français pense qu'il n'a rien à perdre à essayer.

Natalie Nougayrède et Gilles Paris

LeMonde.fr