Demain, le 13 juillet, se réuniront au Grand Palais parisien les 27 chefs d’Etats de l’Union européenne (UE) et ceux des autres 16 pays qui formeront ensemble la future Union pour la Méditerranée (UPM), dont le lieu et la date de naissance sont très symboliques. L’anniversaire de cette nouvelle organisation régionale se fêtera simultanément avec la commémoration de la prise de la Bastille. C’est un signe fort sur le rôle central de la France au sein de l’UPM qu’a voulu donner Nicolas Sarkozy, géniteur de ce projet qui a été depuis sa conception quelque peu altéré afin de répondre aux exigences des partenaires européens de la France.
Le projet initial « Union méditerranéenne » visait la création d’un espace comprenant les 22 pays riverains de la Mare nostrum : au nord, l’Espagne, la France, Monaco, l’Italie, la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, l’Albanie, la Grèce, la Turquie, Malte et Chypre, et au sud le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye, l’Égypte, Israël, la Palestine, le Liban, et la Syrie, plus 3 pays ayant des liens privilégiés avec la Méditerranée : le Portugal, la Jordanie et Mauritanie. La Suisse, que certains géographes considèrent comme un pays méditerranéen, car source de l’un des affluents de cette mer, le Rhône, n’a pas été associée au projet UPM.
Plusieurs pays de l’UE, notamment l’Allemagne, se sont opposés au projet dans sa forme initiale de peur qu’il n’affecte la construction de l’UE. Après de longs échanges, une nouvelle formulation du projet a vu le jour. L’UE sera fortement impliquée dans le processus décisionnel de ce qui ne sera plus une « Union méditerranéenne » mais une « Union pour la Méditerranée ». La nuance est de taille ; elle résume en quelques lettres la force des liens qui unissent les membres de l’UE et leur souci de préserver leurs intérêts stratégiques.
En face de cette unité robuste, les pays du Sud offrent un spectacle désolant et pathétique de dislocation, de divergences, de querelles, comme l’ont montré les quelques rencontres tenues au sud pour discuter du projet UPM. A défaut d’une réflexion et de discussions de fond sur les aspects stratégiques de la question, certains dirigeants se sont livrés à des luttes de positionnement pour une nomination comme premier « co-président du sud » de l’UPM, titre accordé vraisemblablement à Housni Moubarak à cause, a-t-on dit, de la forte démographie de son pays et de ses relations de « bon voisinage » avec Israël, qui aura le privilège de siéger avec le premier « co-président du nord » : Nicolas Sarkozy.
Les promoteurs de l’UPM affirment qu’il s’agit d’un espace d’échange et de coopération pour renforcer les relations nord-sud et aider au développement de la rive sud de la Méditerranée, au moyen de projets concrets, à l’impact réel sur les populations.
Mais les détracteurs de cette nouvelle entité argumentent qu’elle ne serait en fait que :
1) Une supercherie politique, car elle n’a d’union que le nom ; une véritable union impliquerait les quatre libertés de circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux.
2) Un moyen subtil de donner à la Turquie l’impression d’être associée à l’Europe sans faire partie de l’UE.
3) Un acte visant à « enterrer » définitivement le projet d’Union du Maghreb Arabe (UMA), processus moribond, ayant souffert de contradictions internes, entre les régimes des pays concernés, qui seraient alimentées en continu par certaines politiques européennes, notamment française.
4) Une opportunité pour atteindre la normalisation arabo-israélienne à moindres frais, c’est-à-dire sans résoudre le conflit israélo-palestinien.
5) Un instrument pour imposer encore plus d’hégémonie politique, culturelle et symbolique, sur la rive sud de la Méditerranée.
6) Un espace d’échange commercial déséquilibré entre une UE à l’économie forte et des pays aux économies désintégrées (différence d'un facteur 5 en moyenne en termes de PIB par habitant), entre un groupement d'Etats de droit et des pays ruinés par le despotisme et la corruption offrant un marché pour l’excédent de produits que l’UE n’arrive pas à écouler en Amérique et en Asie : quincaillerie militaire et industrielle, produits alimentaires et pharmaceutiques souvent périmés ou presque.
7) Un réservoir de main d’œuvre bon marché et le lieu de relocalisation des industries européennes polluantes.
8) Une structure souple pour assurer l’approvisionnement de l’Europe en énergies (hydrocarbures et solaire) et pour contrôler les flux migratoires.
9) Une alliance offrant un avantage stratégique dans la lutte d’influence menée par l’UE, les Etats-Unis et la Chine en Afrique du Nord.
10) Un facteur de consolidation des dictatures des pays arabes, partenaires dans ladite « guerre contre le terrorisme », et de prévention de toute velléité de changement chez les sociétés du Sud.
Entre les prévisions des uns et des autres, quel rôle jouera l’UPM dans la région ? Seul l’avenir nous le dira.
Abbas Aroua
12 juillet 2008
Tribune de Geneve
Le projet initial « Union méditerranéenne » visait la création d’un espace comprenant les 22 pays riverains de la Mare nostrum : au nord, l’Espagne, la France, Monaco, l’Italie, la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, l’Albanie, la Grèce, la Turquie, Malte et Chypre, et au sud le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye, l’Égypte, Israël, la Palestine, le Liban, et la Syrie, plus 3 pays ayant des liens privilégiés avec la Méditerranée : le Portugal, la Jordanie et Mauritanie. La Suisse, que certains géographes considèrent comme un pays méditerranéen, car source de l’un des affluents de cette mer, le Rhône, n’a pas été associée au projet UPM.
Plusieurs pays de l’UE, notamment l’Allemagne, se sont opposés au projet dans sa forme initiale de peur qu’il n’affecte la construction de l’UE. Après de longs échanges, une nouvelle formulation du projet a vu le jour. L’UE sera fortement impliquée dans le processus décisionnel de ce qui ne sera plus une « Union méditerranéenne » mais une « Union pour la Méditerranée ». La nuance est de taille ; elle résume en quelques lettres la force des liens qui unissent les membres de l’UE et leur souci de préserver leurs intérêts stratégiques.
En face de cette unité robuste, les pays du Sud offrent un spectacle désolant et pathétique de dislocation, de divergences, de querelles, comme l’ont montré les quelques rencontres tenues au sud pour discuter du projet UPM. A défaut d’une réflexion et de discussions de fond sur les aspects stratégiques de la question, certains dirigeants se sont livrés à des luttes de positionnement pour une nomination comme premier « co-président du sud » de l’UPM, titre accordé vraisemblablement à Housni Moubarak à cause, a-t-on dit, de la forte démographie de son pays et de ses relations de « bon voisinage » avec Israël, qui aura le privilège de siéger avec le premier « co-président du nord » : Nicolas Sarkozy.
Les promoteurs de l’UPM affirment qu’il s’agit d’un espace d’échange et de coopération pour renforcer les relations nord-sud et aider au développement de la rive sud de la Méditerranée, au moyen de projets concrets, à l’impact réel sur les populations.
Mais les détracteurs de cette nouvelle entité argumentent qu’elle ne serait en fait que :
1) Une supercherie politique, car elle n’a d’union que le nom ; une véritable union impliquerait les quatre libertés de circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux.
2) Un moyen subtil de donner à la Turquie l’impression d’être associée à l’Europe sans faire partie de l’UE.
3) Un acte visant à « enterrer » définitivement le projet d’Union du Maghreb Arabe (UMA), processus moribond, ayant souffert de contradictions internes, entre les régimes des pays concernés, qui seraient alimentées en continu par certaines politiques européennes, notamment française.
4) Une opportunité pour atteindre la normalisation arabo-israélienne à moindres frais, c’est-à-dire sans résoudre le conflit israélo-palestinien.
5) Un instrument pour imposer encore plus d’hégémonie politique, culturelle et symbolique, sur la rive sud de la Méditerranée.
6) Un espace d’échange commercial déséquilibré entre une UE à l’économie forte et des pays aux économies désintégrées (différence d'un facteur 5 en moyenne en termes de PIB par habitant), entre un groupement d'Etats de droit et des pays ruinés par le despotisme et la corruption offrant un marché pour l’excédent de produits que l’UE n’arrive pas à écouler en Amérique et en Asie : quincaillerie militaire et industrielle, produits alimentaires et pharmaceutiques souvent périmés ou presque.
7) Un réservoir de main d’œuvre bon marché et le lieu de relocalisation des industries européennes polluantes.
8) Une structure souple pour assurer l’approvisionnement de l’Europe en énergies (hydrocarbures et solaire) et pour contrôler les flux migratoires.
9) Une alliance offrant un avantage stratégique dans la lutte d’influence menée par l’UE, les Etats-Unis et la Chine en Afrique du Nord.
10) Un facteur de consolidation des dictatures des pays arabes, partenaires dans ladite « guerre contre le terrorisme », et de prévention de toute velléité de changement chez les sociétés du Sud.
Entre les prévisions des uns et des autres, quel rôle jouera l’UPM dans la région ? Seul l’avenir nous le dira.
Abbas Aroua
12 juillet 2008
Tribune de Geneve